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Débat : quatre raisons de s’opposer à la PMA pour toutes

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Conservation de sperme dans de l'azote liquide, dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA). Shutterstock

La « PMA » est l’objet de discussions vives depuis plusieurs années. Ici, nous entendons la PMA, pour procréation médicalement assistée, dans le sens que ce sigle a pris récemment pour qualifier, non pas l’ensemble des techniques de procréation qui font intervenir des spécialistes de la biomédecine, mais spécifiquement l’insémination artificielle avec donneur de sperme (IAD) de femmes seules ou de couples féminins. Nous utiliserons le sigle AMP, ou assistance médicale à la procréation, pour désigner à la fois l’insémination artificielle et la fivète ou fécondation in vitro (FIV) et transfert d’embryon.

Les promesses du candidat Macron de légaliser la « PMA » ont relancé ce débat dans le cadre de la révision des lois de bioéthique prévue pour 2018-2019. Les Français sont aujourd’hui une majorité (64 %) à se déclarer favorables « à ce que les couples de femmes homosexuelles désirant un enfant puissent avoir recours à
l’insémination artificielle (ce qu’on appelle aussi la PMA) pour avoir un
enfant », selon le sondage Ifop pour le site my-pharma.info réalisé les 20 et 21 septembre.

Le plus souvent, les partisans de cette pratique se réclament de l’égalité des sexes et de droits communs à toutes les femmes, dont le « droit à l’enfant » pour les homosexuelles, tandis que les opposants défendent la famille traditionnelle avec papa, maman et bébé.

Mon propos est d’argumenter sur quelques points qui échappent à l’idéologie mais devraient raisonnablement poser les bases d’un refus de cette « PMA ». Ces réflexions sont développées dans mon livre, Faire des enfants demain (Seuil).

Le penseur autrichien Ivan Illich écrivait dans son livre Némésis médicale, en 1975 : « Il convient de fixer des limites raisonnées aux soins de santé classiques. L’urgence s’impose de définir les devoirs qui nous incombent en tant qu’individus, ceux qui reviennent à notre communauté, et ceux que nous laissons à l’État ». C’est avec cette référence à l’autonomie qu’il faut d’abord penser ce que signifie « la PMA pour tous et toutes ».

La biomédecine n’a pas à résoudre les questions de société

L’AMP est légalement destinée à pallier l’infertilité des couples, non à permettre à des personnes fertiles d’avoir un enfant – sauf dans les cas d’anomalies génétiques chez les parents, leur transmission étant évitable par le recours à un donneur de gamètes ou à la sélection d’un embryon indemne. Si la biomédecine devait prendre aussi en charge les gens capables de procréer par leurs propres moyens, cela signifierait un glissement de l’aide médicale vers l’aide sociétale, une médicalisation abusive de la vie humaine jusque dans les moments les plus intimes.

Rappelons la simplicité de l’acte « médical » d’insémination artificielle, nombre de lesbiennes de par le monde ayant choisi l’auto insémination. Hors la cryoconservation des gamètes qui permet la planification de leur usage, la fonction des banques de sperme est principalement de gérer l’approvisionnement et les attributions : on pourrait dire qu’il s’agit d’une procréation administrativement assistée…

La démission des personnes fertiles qui s’en remettent aux spécialistes pour assumer leur désir d’enfant relève de l’aliénation à la technique, du refus d’autonomie qui est la face triste du « progrès ». En outre, cela provoquerait des coûts supplémentaires car nul doute que l’argument égalitaire ferait adopter la gratuité des actes pour les femmes homosexuelles, comme cela existe pour les hétérosexuelles.

Il faut aussi envisager des demandes diverses si des règles politico-éthiques ne permettent pas de limiter l’aide biomédicale aux personnes souffrant de difficultés procréatrices : la greffe d’utérus, qui a déjà permis d’enfanter à plusieurs femmes européennes privées de matrice, sera bientôt revendiquée par des hommes. Sera mis en avant un moindre trouble éthique que celui provoqué par la location d’utérus, aussi nommée gestation pour autrui ou GPA, qui instrumentalise une femme gestatrice.

De plus, la revendication « d’égalité » des sexes, qui cache la désexualisation, fonctionnera comme cela est arrivé pour le refus de la ménopause (puisque les hommes ne la connaissent pas) par conservation d’ovules ou embryons en vue d’une grossesse différée. Déjà, en Grande-Bretagne, des adolescents se voient proposer, avec prise en charge financière, une perspective de procréation différée grâce à la congélation de leur sperme ou de leurs ovules avant les interventions médicales les faisant changer de sexe.

Une pénurie de sperme chronique en France

La pénurie de sperme est chronique en France, comme dans les autres pays où le don est gratuit. Aussi, de nouvelles demandes d’insémination artificielle avec donneur (IAD) viendraient en concurrence des demandes actuelles qui ne peuvent être aisément satisfaites. Une telle situation pourrait vite déboucher sur la fin de la gratuité, fierté de l’éthique médicale française, afin d’abonder les containers des banques de sperme. Et cette mise en marché d’un produit du corps humain s’élargirait vite à la commercialisation des ovules et embryons, puis du sang et des organes, toutes pratiques prohibées par notre bioéthique.

Ne serait-ce pas mettre la loi en demeure de changer ces principes que d’aggraver la pénurie de sperme en ouvrant l’IAD à de nouvelles populations ? La « PMA » est une vision libertaire des rapports humains qui conduit à une pratique libérale de la bioéthique…

Alternativement, afin d’économiser les précieux gamètes, on pourrait adopter la technique de FIV avec Injection d’un spermatozoïde dans l’ovule (ICSI) plutôt que l’IAD pour tous les couples (homos ou hétéros) en demande d’insémination. En effet la parité des gamètes s’y trouve réalisée puisqu’il suffit d’un spermatozoïde pour un ovule, au lieu des centaines de milliers de spermatozoïdes qu’exige l’IAD. Mais, ce serait au prix d’une sophistication technique supplémentaire, inutile et coûteuse.

La solution finale pourrait être la production massive de gamètes en laboratoire à partir de cellules banales, avancée significative dans la fabrication anonyme et certifiée des enfants.

Le droit de l’enfant à connaître ses parents

Le droit de l’enfant à connaître ses parents est un principe international inscrit depuis 1989 dans la Convention des droits de l’enfant de l’ONU. Il est déjà bafoué par les banques de sperme et la loi française qui exigent l’anonymat des donneurs de sperme. Peut-on accorder la parentalité exclusive aux personnes élevant l’enfant et dénier toute fonction, même symbolique, aux parents biologiques ?

L’anonymat du donneur de sperme a d’énormes conséquences sur la pratique de l’IAD mais aussi sur les interrogations de nombreux enfants issus de tels dons depuis les années 1970. Quand ils découvrent la réalité de leur conception, beaucoup souffrent de ne pas pouvoir mettre un visage dans le cadre psychologique de la figure du père, comme le montre le mémoire de master 2 en sociologie réalisé cette année à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) sous la direction d’Irène Théry. Par ailleurs, une étude conduite par une ONG aux Etats-Unis en 2010 montre que 67 % des personnes conçues avec donneur aimeraient connaître son identité. Cette réalité indiscutable devrait compter davantage que les arguties politiquement correctes qui expliquent que le père est seulement celui qui élève l’enfant.

Faut-il augmenter le nombre de ces enfants en souffrance en ouvrant la « PMA » à de nouvelles demandes ou d’abord accepter une réflexion profonde qui pourrait conduire à abandonner l’anonymat comme l’ont fait d’autres pays ? Ceux et celles qui demandent l’élargissement du don de sperme vers la « PMA pour toutes » ont-ils pris la mesure des troubles provoqués par la pratique actuelle de l’AMP pour les couples hétérosexuels ? Car il y en a d’autres.

Un eugénisme obligé, via les banques de sperme

Les banques de sperme pratiquent un eugénisme obligé, conséquence de l’anonymat des donneurs. Ce principe confère aux praticiens l’énorme responsabilité du choix d’un père génétique pour chaque enfant ainsi conçu. Là aussi, le dysfonctionnement concerne déjà les couples hétérosexuels. Serait-il sage d’intensifier le recours à l’IAD en autorisant la « PMA » si on demeure incapable de poser des limites au nouvel eugénisme, mou et consenti ?

Les donneurs de sperme sont d’abord choisis par élimination légitime de ceux qui seraient incapables de remplir ce rôle (sperme déficient ou inapte à la congélation) ou qui présentent de graves troubles physiologiques, infectieux ou comportementaux. À cette étape, déjà, il n’existe pas de document indiquant précisément les critères médicaux retenus. Puis, chaque femme receveuse se voit appariée avec un donneur accepté et physiquement compatible (ressemblant à l’homme qu’il remplace) mais ne présentant pas de « facteur cumulatif de risque » avec les imperfections génétiques de la patiente.

La démarche est logique mais ses limites sont indéfinies : alors que les critères infectieux de sélection sont décrits avec précision par les professionnels et l’Agence de biomédecine, les critères génétiques ne sont pas discutés ouvertement ni même rendus publics – en particulier par l’Agence de biomédecine dont ce serait le rôle. Les banques de sperme disposent ainsi d’une autonomie exceptionnelle pour imposer des « appariements » entre personnes, appariements génétiques qui n’existent pas dans la vie « normale » où l’on ne s’enquiert pas outre mesure du pedigree de son partenaire.

On peut craindre que les progrès dans l’identification des risques génétiques stimulent des exigences eugéniques croissantes puisque les médecins sont les seuls décisionnaires et dépositaires de l’identité génétique d’un père, et que leur responsabilité morale mais éventuellement juridique se trouve ainsi engagée. L’autorisation de la « PMA » est pour le moins prématurée tant que les conditions de l’IAD ne sont pas clarifiées.

Comment décider de répondre aux demandes d’AMP ?

Le gouvernement Macron souhaite reproduire la procédure de « concertation » qui, sous forme « d’états généraux », avait déjà été mise en place avant la précédente révision des lois de bioéthique en 2011. Comportant des débats publics et des jurys de citoyens, cette concertation présente une image démocratique. Mais elle ne fait que reproduire les arguments des acteurs concernés, sans conduire à des conclusions susceptibles de figurer les choix des Français s’ils étaient complètement informés. Tout se passe comme si les autorités responsables s’offraient la caution de l’opinion pour mettre en route les décisions qui lui conviennent ou conviennent à des groupes d’influence.

Pourquoi ne pas recourir plutôt à la convention de citoyens, où un jury tiré au sort reçoit des informations complètes et contradictoires selon une procédure codifiée qui garantit l’objectivité ? Dans la convention de citoyens, toutes les tendances sont soumises à l’appréciation des jurés. Ces derniers disposent des conditions favorables – le temps, la modération, la discrétion – pour discuter avec les experts et entre eux, avant de rédiger eux-mêmes leur avis. Ce serait le moyen le plus juste de choisir ou refuser, en France, la « PMA » pour toutes.

The Conversation

Jacques Testart est membre du Conseil scientifique d’Attac et président d'honneur de la Fondation Sciences Citoyennes, association visant à favoriser la réappropriation citoyenne et démocratique de la science.

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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