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La polarisation des débats sur les enjeux liés au genre et à la sexualité a donné lieu, la semaine dernière, à des manifestations et des contre-manifestations houleuses dans les villes du pays.
La coalition One Million March 4 Children, à l’origine des mobilisations, a dans sa mire un ensemble de composantes des programmes d’éducation à la sexualité dans les écoles, notamment la théorie du genre. Elle réunit des organisations de camionneurs, de droite radicale et différentes organisations religieuses.
Porté par divers mouvements conservateurs, la présence des groupes chrétiens à ces manifestations n’était pas surprenante. La forte présence de communautés immigrantes, notamment musulmanes, en a toutefois étonné plusieurs. Durant cette semaine-là, une association musulmane et le chroniqueur conservateur Mathieu Bock-Côté, aux spectres idéologiques opposés, ont tous deux dénoncé l’appel à la tolérance du premier ministre Trudeau dans des termes à peu près identiques.
Tant les politiques libertariennes en matière fiscale que très conservatrices en matière sociale ont le vent en poupe. Et il n’y a aucune raison qu’elles n’intéressent pas les membres de la diversité religieuse.
Alors que le Parti populaire (PPC) de Maxime Bernier fait des questions liées au genre son cheval de bataille, Pierre Poilievre s’est montré plus prudent à sauter dans la mêlée. Il a demandé à ses députés d’en faire autant. Mais son parti pourrait tirer profit de cette polarisation. Trois éléments semblent aller dans ce sens.
D’abord, le vote chrétien évangéliste sur les valeurs morales est déjà largement acquis au PCC. Deuxièmement, contrairement à plusieurs formations de droite populiste européenne, le PCC a peu de marge de manœuvre en matière de discours hostile à l’immigration. Un parti qui veut gagner les élections fédérales ne peut se mettre les communautés issues de l’immigration à dos. Puis, la recherche d’une ligne de fracture au sein des communautés immigrantes selon l’axe conservateur/libéral en matière de sexualité et de genre peut modifier l’équilibre des forces politiques à plus long terme.
Respectivement professeur de sociologie à l’UQAM et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches portent sur le nationalisme, le populisme et les conflits politiques au Québec et au Canada.
La politisation des enjeux trans par la droite conservatrice
Si la politisation des questions liées à la sexualité par la droite religieuse n’est pas nouvelle, les débats sur le genre et l’inclusion des personnes trans a récemment pris une importance accrue.
La droite américaine en fait un élément de sa critique du libéralisme depuis des années. La récupération de ces enjeux est toutefois plus récente au Canada. Le PPC de Maxime Bernier a inscrit son opposition à « l’idéologie du genre » à son programme.
Plus récemment, des projets de loi proposés par les gouvernements conservateurs du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan, qui visent à obliger les directions d’écoles à avertir les parents d’une demande de changement de prénom ou de genre exprimée par leur enfant, ont également suscité de vifs débats. Ils opposent les « droits parentaux » aux droits des enfants trans de vivre en sécurité. Au Québec, l’utilisation de prénoms neutres et la question des toilettes mixtes s’ajoutent à cette liste des enjeux qui activent cette polarisation.
Les valeurs conservatrices des minorités culturelles : une route vers la victoire ?
Le PCC a obtenu des résultats en deçà de ses attentes aux trois dernières élections. Or, l’usure du pouvoir libéral, l’inflation et les difficultés d’accès à la propriété sont des thèmes permettant au parti de faire des gains chez les jeunes, particulièrement les hommes.
Aux dernières élections, le défi du PCC était de concilier le conservatisme social espéré par sa base, avec une plate-forme acceptable pour l’électorat centriste. Andrew Scheer et Erin O’Toole ont trébuché sur ce problème.
La majorité conservatrice de Stephen Harper en 2011 reposait sur la capture de circonscriptions à forte proportion immigrante, notamment à Mississauga, Brampton, Richmond Hill et Vaughan, dans la région de Toronto. Or, ces circonscriptions ne faisaient pas partie de la stratégie initiale de Harper, mais la difficulté de rallier les nationalistes québécois l’a forcé à la réévaluer. Harper s’était alors tourné vers les minorités culturelles en banlieue de Toronto. Elles partageaient, outre les valeurs conservatrices, un attachement à la religion et à la libre entreprise. Harper a également introduit des mesures fiscales favorables aux familles, majoritairement patriarcales, qui valorisent le travail d’un seul parent et où un époux a des revenus beaucoup plus élevés que l’autre.
Aujourd’hui en avance dans les sondages, le PCC pourrait faire des gains aux dépens des libéraux à Markham, Vaughan, Richmond Hill, Whitby et Pickering-Uxbridge, dans certaines circonscriptions de Toronto, à Oakville et jusqu’aux banlieues de Hamilton. Le PCC pourrait aussi reprendre des circonscriptions dans le Grand Vancouver qu’il avait perdu aux mains des libéraux lors des dernières élections.
La stratégie probable du PCC
La politisation des enjeux liés au genre et à la sexualité est probablement perçue comme une opportunité par Poilievre de renouveler son électorat à l’approche de la prochaine élection. Pour y arriver, il est peu probable qu’il s’engage, à l’instar du Parti populaire, à limiter les droits des enfants transgenres ou à s’immiscer dans les champs de compétences des provinces.
Le PCC se contentera probablement de mobiliser des sifflets à chien dénonçant les « wokes » et d’appuyer les gouvernements provinciaux et les communautés religieuses dénonçant les programmes d’éducation sexuelle.
C’est ce que Poilievre a fait en août lors d’un rassemblement de la communauté pakistanaise de Toronto. Dans un discours prononcé dans le cadre des célébrations pour le Jour de l’Indépendance du Pakistan, il s’est porté à la défense de la liberté de religion et du droit des parents de « transmettre leurs enseignements traditionnels à leurs enfants » et de les « élever avec leurs propres valeurs ». Plus tôt cet été, il s’était opposé à ce que le gouvernement fédéral se mêle des débats au Nouveau-Brunswick.
Le PCC pourrait bénéficier d’un appui de la population sur ces enjeux. Même si les pratiques reliées aux transitions de genre sont rarissimes, elles suscitent l’ire des milieux conservateurs.
D’autres positions conservatrices, comme la critique de la décriminalisation des drogues en Colombie-Britannique et du « wokisme » libéral en matière de criminalité, pourraient aussi faire mouche. Ainsi, une stratégie axée sur le conservatisme fiscal, la loi et l’ordre, la famille traditionnelle et les valeurs conservatrices en matière de sexualité pourrait être très rentable pour le PCC.
Quels dilemmes pour les partis d’opposition ?
Cette stratégie du PCC remet également en question les stratégies du PLC et du NPD. Se présentant à la fois comme les défenseurs des communautés religieuses ou ethniques, des minorités sexuelles et de genre, mais aussi comme des critiques de la loi 21 du Québec sur la laïcité, ces partis ont entretenu des clientèles qui se retrouvent aux antipodes de cette polarisation sociale.
Cette évolution était prévisible. L’importante présence de certaines communautés culturelles dans les mobilisations anti-LGBTQ+ fait éclater l’idée simpliste véhiculée par la gauche identitaire selon laquelle la « diversité » serait nécessairement libérale et progressiste, parce que minoritaire.
Les communautés issues de l’immigration sont hétérogènes et leurs relations aux questions de liberté de conscience et d’expression varient grandement. Mais leurs institutions communautaires, parfois religieuses et patriarcales, ne cadrent pas toujours avec l’orientation des libéraux et du NPD en matière de citoyenneté et diversité sexuelle.
Les réactions du milieu nationaliste québécois ont été équivoques sur ces questions. Le Bloc Québécois a manqué une occasion de prendre position en faveur des droits des minorités sexuelles avant ceux des parents à être indignés. Il a privilégié l’autonomie des provinces plutôt qu’une position de fond qui aurait été cohérente avec celle de Québec sur les dossiers de la liberté académique et de laïcité.
Le PCC pourrait cependant être confronté à l’éventualité où une province utilise la clause dérogatoire pour adopter une loi en lien avec les « droits parentaux », utilisation récemment confirmée par Scott Moe en Saskatchewan. Il serait délicat pour Poilievre de défendre l’utilisation de la clause dérogatoire dans les provinces conservatrices, mais de s’y opposer pour les lois du Québec sur la laïcité et la langue.
Une fenêtre semble ainsi s’ouvrir pour Poilievre et le PCC. L’usure du pouvoir, les cafouillages libéraux à répétition et les défis économiques y contribuent certainement. Cela dit, la croissance des communautés ethniques et religieuses et l’appui grandissant des jeunes au conservatisme s’inscrivent dans des changements sociaux et démographiques plus larges qui pourraient bousculer la donne politique.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.