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Depuis la loi de refondation du 8 juillet 2013, la lutte contre les discriminations sexistes, homophobes et transphobes est au cœur des missions de l’école qui, au nom des valeurs d’égalité et de respect de l’autre dans sa diversité, se doit de veiller à la sécurité des élèves LGBT+. Ces derniers sont en effet des populations fragilisées, courant le risque de se faire agresser au cours de leur scolarité. Une réalité sombrement illustrée en janvier 2023 par le suicide du jeune Lucas, 13 ans, harcelé au collège en raison de son homosexualité.
Les jeunes LGBT+ rencontrent en outre différentes barrières dans leur accès à l’information en bibliothèque publique ou scolaire. Cela est dû à un manque d’ouvrages susceptibles de répondre à leurs besoins informationnels (comprendre qui ils sont, accéder à des représentations positives) ou bien à des erreurs de catalogage qui invisibilisent des ressources pourtant présentes dans les collections. Il existe aussi des barrières psychologiques que ces jeunes s’imposent. Par peur d’être stigmatisés, ils s’interdisent de consulter ou d’emprunter certains documents.
Répondre aux besoins informationnels de tous les élèves, leur permettre de développer leur esprit critique et de gagner en estime de soi est aussi l’une des missions fondamentales de l’école et plus particulièrement des professeurs documentalistes.
Une étude financée par la MSH Lorraine et conduite entre 2022 et 2023 auprès de professeurs documentalistes du Grand Est s’est intéressée à la manière dont ils développaient et transmettaient des savoirs en lien avec les « questions de genre ». Cela englobait des thématiques comme l’égalité entre les filles et les garçons, l’orientation des élèves, les violences sexistes, sexuelles et LGBTphobes. Les données collectées ont permis de dégager des résultats sur la manière dont ces enseignants œuvrent pour le bien-être des élèves LGBT+.
Le métier de professeur documentaliste
Titulaires d’un CAPES de Documentation, les professeurs documentalistes poursuivent trois missions. En tant qu’enseignants, ils participent à la transmission d’une culture de l’information à tous les élèves. Ils inscrivent leurs actions dans le cadre de l’Éducation aux médias et à l’information qui vise, entre autres, à permettre aux élèves de reconnaître et de dépasser les stéréotypes et les préjugés véhiculés par les médias, la télévision, la publicité ou par certains discours sociaux allant à l’encontre des valeurs démocratiques et républicaines.
En tant que gestionnaires du Centre de Documentation et d’Information (CDI), ils organisent, enrichissent et exploitent le fonds documentaire pour répondre aux besoins des élèves et des enseignants.
Ils sont aussi acteurs de l’ouverture de leur établissement sur son environnement éducatif, professionnel et culturel, ce qui passe par l’élaboration d’une politique d’accès à la culture et la création de partenariats avec le monde associatif, artistique…
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Si leur double métier est parfois un frein en termes de reconnaissance et d’identité professionnelle, il peut aussi être un atout pour répondre aux questions socialement vives qui pénètrent l’école.
Pourtant, sur le terrain, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés qui leur donnent parfois l’impression de bricoler et de se battre contre des moulins à vent.
Valoriser un fonds documentaire sans stigmatiser un public
Les élèves LGBT+ ne sont pas toujours identifiés par les professeurs documentalistes, à l’exception de ceux qui s’assument ouvertement, font des suggestions pour l’acquisition de livres ou trouvent refuge au CDI pour fuir les brimades dont ils peuvent être victimes. Il s’agit donc la plupart du temps de répondre aux besoins informationnels d’un public supposé présent.
La volonté d’acquérir des ressources ne suffit pas à garantir la constitution d’un fonds pertinent. Certains documentalistes soulignent leur manque de connaissance de ce public qui est loin d’être homogène (les besoins d’un garçon cisgenre gay ne sont pas les mêmes que ceux d’une fille transgenre) et un manque de vocabulaire qui ne permet pas toujours de faire des recherches d’information efficaces ou de bien indexer les documents. Leurs propres représentations jouent également un rôle dans la constitution des collections.
Se pose alors la question de valoriser un fonds sans stigmatiser un public. Comment choisir les bons mots clés, pallier les limites des thésaurus ? Comment proposer des histoires « positives » qui ne confortent pas les élèves dans l’idée qu’ils seront toujours isolés, harcelés, rejetés ?
À cela s’ajoute une réflexion quant au classement des ouvrages. Par exemple, sortir d’un fonds de manga ceux dont l’intrigue rend compte d’une romance entre deux personnages du même sexe pour les intégrer à un fonds spécial peut être une source de stigmatisation. A contrario, ne pas signaler l’existence de telles intrigues et laisser les ouvrages au sein d’un fonds généraliste peut conduire à leur invisibilisation.
Des questions qui cristallisent des résistances
Qu’il s’agisse de la question LGBT+, de l’égalité fille-garçon ou encore des violences sexistes et sexuelles, les professeurs documentalistes sont confrontés à de nombreuses résistances.
Des élèves peuvent se montrer réfractaires à ces thématiques parce qu’ils suivent une dynamique de groupe, évitent de témoigner d’une ouverture d’esprit afin de ne pas se faire remarquer. Certains évoquent parfois des convictions politiques ou religieuses qui, bien qu’elles n’aient pas leur place à l’école, peuvent être un frein au bon déroulement d’une séance.
Les parents peuvent aussi émettre des réserves sur le déroulement d’activités, ce qui pousse parfois les enseignants à une forme d’autocensure ou à des stratégies de contournement. Cela est d’autant plus vrai dans des établissements privés sous contrat avec l’État situés dans des territoires où des organisations catholiques traditionalistes font pression pour que les questions de genre ne soient pas abordées à l’école.
Les résistances peuvent venir d’autres membres de l’équipe éducative, par manque de temps ou d’intérêt, ou bien parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec ces questions ou sont également enfermés dans des stéréotypes.
Enfin, en France, la majorité des professeurs documentalistes sont des femmes et certaines parmi celles que nous avons rencontrées affirment parfois ressentir, au sein d’équipes de direction, un sexisme ordinaire allant d’un manque de soutien dans l’organisation d’événements pourtant présentés comme prioritaires dans les textes officiels à une dévalorisation des actions qu’elles mettent en place.
Hybrider les savoirs info-documentaires et les savoirs communautaires
Les professeurs documentalistes, notamment celles et ceux qui s’engagent en tant que chargés de mission égalité filles-garçons/LGBT, reconnaissent l’utilité des formations proposées par l’institution, car elles contribuent à définir le cadre institutionnel de la politique d’égalité et à mettre en œuvre des projets. Cependant, elles sont souvent trop courtes et trop peu nombreuses.
L’institution ne peut à elle seule apporter les connaissances et le soutien nécessaires, d’autant plus qu’elle formule souvent des injonctions paradoxales, reproduit le système de genre et favorise la persistance des inégalités sexuées. C’est donc au sein d’autres sphères que ces enseignants s’informent sur l’histoire et la culture LGBT+ :
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des jeunes collègues, stagiaires ou assistants d’éducation, qui assument leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre, ou s’intéressent à ces questions ;
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des élèves concernés qui s’impliquent dans des activités de prévention ou dans la vie du CDI ;
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leur sphère privée (militantisme, enfant qui a fait un coming out) ;
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les associations avec lesquelles ils collaborent dans le cadre d’actions spécifiques.
La nécessité d’une collaboration plus étroite avec ce type d’associations pour acquérir des ressources appropriées aux besoins des élèves, utiliser un vocabulaire adéquat et se familiariser avec le « queersaurus » a d’ailleurs été mentionnée au cours de notre enquête.
Un processus d’hybridation du savoir info-documentaire avec le savoir situé et communautaire (des personnes et associations concernées) semble se mettre en place, de même qu’un phénomène de transmission de connaissances ascendante (des enfants/élèves/stagiaires vers les enseignants en poste depuis plusieurs années). Cela favorise l’émergence d’un traitement documentaire pertinent et non stigmatisant et une meilleure prise en compte du public LGBT+ dans le panorama culturel des établissements.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.