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L’Église catholique face aux unions civiles homosexuelles

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« Les personnes homosexuelles ont des droits à être dans une famille, ils sont enfants de Dieu, ils ont le droit à une famille. On ne peut pas expulser quelqu’un d’une famille ou lui rendre la vie impossible pour cette raison. Ce que nous devons faire c’est une loi d’union civile, car ils ont le droit à une couverture légale. C’est ce que j’ai défendu. »

Ces paroles du pape François, datant d’un interview de 2019 par une journaliste mexicaine et reprises en partie de manière inédite dans un documentaire présenté à Rome le 21 octobre dernier, ont suscité des interrogations sur un changement dans l’enseignement de l’Église catholique par rapport aux unions légales entre personnes de même sexe.

Francesco, bande annonce du documentaire inédit consacré au pape François, présenté le 21 octobre au festival international du film de Rome.

Il n’y avait pourtant rien de nouveau : en 2017, dans ses entretiens avec Dominique Wolton, le pape avait déjà avancé l’expression « union civile » pour l’union entre personnes de même sexe, en affirmant que le « mariage » était entre un homme et une femme. Par ailleurs, dans l’interview de 2019, le pape souligne que ses propos n’équivalent pas à « approuver les actes homosexuels ».

Quel est donc l’enseignement de l’Église catholique sur l’homosexualité, spécialement en rapport à la loi, et le pape François apporte-t-il quelque chose de nouveau ? Nous ne pouvons qu’esquisser ici un rapide parcours de la Bible et de la Tradition, dans leur contexte politique et culturel, avant de revenir sur les propos du pape.

Une condamnation claire de la pratique homosexuelle

Dans l’ouvrage Qu’est-ce que l’homme ? de 2019, la Commission biblique pontificale, rassemblant des exégètes de différents pays reconnus pour leur expertise dans l’interprétation des textes, rappelle que la Bible « ne parle pas de l’inclination érotique vers une personne de l’autre sexe, mais seulement des actes homosexuels », et qu’elle en parle peu.

La condamnation légale de la pratique homosexuelle est très claire aux chapitres 18 et 20 du livre du Lévitique, l’un des cinq livres de la Torah juive.

Les auteurs de relations sexuelles entre hommes sont déclarés passibles de la peine capitale. Une peine présente dans d’autres civilisations antiques. Dans le Nouveau Testament, la condamnation morale de la pratique homosexuelle ne se trouve expressément que sous la plume de saint Paul.

Dans le premier chapitre de l’épitre aux Romains, les relations homosexuelles tant féminines que masculines sont qualifiées de « contre nature » (παρά φύσιν en grec). La référence majeure reste l’intégration de la différence sexuelle dans l’acte créateur (Genèse 1-2).

À noter que la Commission invite in fine tout lecteur à être intelligemment attentif au contexte culturel dans lequel les expressions bibliques ont été forgées et les sanctions disciplinaires édictées.

L’interprétation de ces textes doit être complétée par l’apport des sciences humaines et de la théologie et il convient de considérer les personnes dans leur singularité propre.

Un rejet qui s’inscrit dans une structure sociale ancienne

Qu’en est-il de la tradition ? Dans l’antiquité chrétienne et le Moyen-Âge, l’attirance vers les personnes de même sexe n’est pas vue comme une structure possible de la personnalité.

Selon le théologien Maurizio Faggioni, rejoignant en partie Michel Foucault, cette compréhension s’établit vers la fin du XVIe.

Les lois des premiers empereurs chrétiens, en continuité avec leurs prédécesseurs païens immédiats, menacent de mort la prostitution masculine, en étendant parfois cette sanction à toute relation homosexuelle.

Dans le même temps, les théologiens condamnent les relations homosexuelles. Ainsi saint Jean Chrysostome dans son commentaire de l’épitre aux Romains ou Saint Augustin dans les Confessions.

Durant le Moyen-Âge, alors que les pénitentiels – livres de casuistique (soit la forme d’argumentation utilisée en théologie morale) à l’usage des confesseurs – prévoient plusieurs années de pénitence pour l’union sexuelle entre hommes, des peines canoniques sont édictées en parallèle aux peines infligées par le pouvoir civil.

Ainsi le concile de Latran III en 1178 reprend les sanctions déjà prévues par le concile de Tolède de 693 : la réduction à l’état laïc et l’exil pour les clercs, l’exil et l’excommunication pour les laïcs, accompagné de la flagellation et de la tonsure dégradante.

Le quatrième concile de Latran, en 1215, prévoit la suspension des clercs s’étant livrés à la sodomie, et leur renvoi définitif en cas de célébration de la messe malgré la suspension.

Dans le même temps, la prédication et les traités de théologie fustigent les pratiques homosexuelles, témoignant par là même de leur présence active. Thomas d’Aquin range l’acte homosexuel parmi les péchés de luxure les plus graves.

Un véritable dispositif punitif

À partir du XVe siècle est organisé, tant dans le domaine civil que religieux, un véritable dispositif punitif envers l’homosexualité. Ainsi, le pape Saint Pie V, dans la constitution Cum primum de 1566, appelle à punir sans indulgence « l’exécrable vice libidineux contre nature ».

Au siècle suivant, Alexandre VII demande aux confesseurs de ne pas faire preuve de laxisme sur la question ?

À partir de la fin du XVIIIe siècle, la culture progressivement sécularisée en Occident, continue à voir la personne pratiquant l’homosexualité comme délinquante, à l’exception de la France révolutionnaire, qui dépénalise le « crime de sodomie » en 1791.

L’historien Guy Bédouelle et ses collègues rappellent que l’homosexualité a été réprimée en Allemagne jusqu’en 1969 et au Royaume-Uni jusqu’en 1982.

Dans l’Église catholique, malgré les débats traversant la médecine et d’autres disciplines dès la fin du XIXe, les théologiens moralistes restent réticents à minorer la culpabilité du comportement homosexuel.

Le code de droit canonique de 1917 prévoit une peine d’« infamie de droit » pour un laïc, de sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’état clérical pour un clerc.

La déclaration « Persona humana » et ses suites

Des changements apparaissent à partir de la déclaration Persona humana de la congrégation pour la Doctrine de la Foi, en 1975.

Soit 10 ans après le Concile Vatican II, qui a suscité une réforme majeure dans l’Église, et au milieu d’évolutions rapides dans la société civile : l’OMS sort l’homosexualité de la liste des pathologies psychiques en 1976.

Pour l’Église, les relations homosexuelles restent moralement injustifiables, mais elle admet que la culpabilité des personnes doit être « jugée avec prudence » et demande que les homosexuels soient « accueillis avec compréhension ».

En tant que tel, la question de l’homosexualité a disparu du code de droit canonique en 1983. Le clerc qui ne serait pas fidèle à ses engagements, que ce soit avec une personne de l’autre sexe ou de son propre sexe, encourt des peines similaires.

En 1986, la même Congrégation écrit que la législation doit respecter la dignité de toute personne homosexuelle, en sanctionnant toute malveillance et tout « geste violent » à son égard, sans pour autant « protéger » le comportement homosexuel qui ne peut être considéré équivalent « à l’expression sexuelle de l’amour conjugal ». En 1992, elle affirme que « l’orientation homosexuelle » étant considérée désordonnée « ne constitue pas une qualité comparable à la race, l’origine ethnique, etc., en ce qui concerne la non-discrimination ». En règle générale « l’homosexualité […] ne devrait donc pas constituer le fondement de revendications juridiques ».

Enfin, en 2003, la Congrégation considère que si une certaine tolérance de l’État envers les unions homosexuelles peut se comprendre, « les législations favorables aux unions homosexuelles sont contraires à la droite raison car elles confèrent des garanties juridiques, analogues à celles de l’institution matrimoniale, à l’union entre deux personnes du même sexe ». Elle réfute par ailleurs :

« l’argumentation selon laquelle la reconnaissance juridique des unions homosexuelles serait nécessaire pour éviter que des homosexuels vivant sous le même toit ne perdent […] la reconnaissance effective des droits communs qu’ils ont en tant que personnes ».

Selon elle en effet, ces personnes « peuvent toujours recourir […] au droit commun pour régler les questions juridiques d’intérêt réciproque ».

Une attitude nettement plus compréhensive

Au long de son histoire, l’Église catholique a plutôt suivi l’évolution sociale et sa traduction juridique envers l’homosexualité, du moins en Occident, celles-ci étant plus ou moins sensibles à son enseignement moral.

La doctrine récente exprime en revanche clairement une opposition à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles, alors même qu’elle favorise une attitude nettement plus compréhensive que par le passé des personnes homosexuelles.

Par rapport à la rediffusion récente des propos du pape François, la Secrétairerie d’État a précisé dans une note interne que le pape « a fait référence à certaines dispositions de l’État, certainement pas à la doctrine de l’Église ».

Nous pouvons en conclure que, tout en réaffirmant l’impossibilité pour l’Église catholique de reconnaître les unions homosexuelles comme l’équivalent d’un mariage, le pape avance la possibilité pour un État de choisir une forme légale de reconnaissance de ces unions dans le but d’assurer les droits économiques et sociaux de chacun. C’est une concession sur le terrain de la juridiction civile par rapport au document de 2003.

Concession qui reste à confirmer dans le temps. Mais la doctrine concernant tant la réprobation des relations homosexuelles que le mariage compris exclusivement entre un homme et une femme reste inchangée.



Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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